Il y a quatorze ans, le 21 novembre 2011, Karim Loualiche s’éteignait à Toulouse, emporté par une crise cardiaque à l’âge de 36 ans. Derrière ce nom discret, se cachait une figure singulière, profondément libre, multiple dans ses talents et rare dans sa façon d’être au monde. Poète du quotidien, physicien de formation, artiste de cœur et d’instinct, il avait su marier science et sensibilité, rigueur et révolte, engagement et humour.
Originaire d’Agouni Fourrou, dans la commune d’At Wasif (Ouacif), en Kabylie, Karim Loualiche était l’un de ces esprits brillants et insaisissables. Après un diplôme d’études supérieures en sciences physiques décroché à l’université Mouloud Mammeri de Tizi Ouzou, il quitte l’Algérie au début des années 2000, marqué par les événements tragiques qui ont secoué la région. Direction la France, où il poursuit ses études jusqu’à obtenir un doctorat en physique nucléaire. Mais c’est là, loin de ses racines, que quelque chose d’autre s’éveille en lui.
Un tournant vers l’art et la liberté
Au fil des années, le scientifique devient artiste. Par nécessité intérieure, par soif d’expression, par amour du verbe et de l’image. Il se tourne vers le cinéma, le chant, l’écriture. Et sous le pseudonyme étonnant de Lvachir Vouchlaghem, il enregistre une dizaine de chansons avec des amis. Des morceaux hors format, à mille lieues des standards de la chanson kabyle. Ce sont des textes crus, drôles, spontanés, parfois déroutants, mais profondément vrais. Ils parlent de la vie, du désespoir, de l’absurde, de la tendresse aussi. Des chansons comme « Ayen akka », devenue culte sur YouTube, avec plus de 390 000 vues.
Loin de chercher la notoriété, Karim jouait avec les codes, détournait les formes, mais restait fidèle à une certaine idée de la création : dire, sans mentir. Refuser les cases. Rire, même quand c’est tragique. Ses chansons sont devenues cultes dans certains cercles, comme des manifestes discrets d’une génération entre deux mondes.
Lire aussi : Djura, l’insoumise aux mille voix : entre musique, lutte et héritage kabyle
« Chantier A », le retour manqué
En parallèle de sa carrière musicale, Karim se lance dans un projet plus intime, plus profond : un documentaire intitulé « Chantier A ». Il y raconte, aux côtés des coréalisateurs Tarek Sami et Lucie Dèche, son retour en Kabylie après dix années d’exil. Un retour physique, mais aussi émotionnel, presque philosophique. Un regard posé sur ce qu’on a laissé derrière soi. Sur ce qu’on espère retrouver. Sur les silences et les absences. Le film sortira en 2013, deux ans après sa disparition.
Un artiste hors-norme, discret et inclassable
Karim Loualiche n’a jamais cherché la lumière. Ceux qui l’ont connu parlent d’un homme humble, brillant, d’une sensibilité rare. Un esprit curieux, généreux, parfois sarcastique, souvent tendre. Il vivait entre deux mondes : celui de la science, qu’il maîtrisait avec rigueur, et celui de l’art, qu’il traversait avec passion.
Aujourd’hui, ses chansons continuent de circuler, parfois en cachette, parfois en hommage. Son nom résonne comme un clin d’œil entre initiés. Une vidéo postée par un ami sur YouTube lui rend hommage, sobrement, à son image. Il reste dans les mémoires comme une voix libre, une pensée en mouvement, un souffle venu d’ailleurs.
Karim Loualiche, alias Lvachir Vouchlaghem, aura laissé peu d’œuvres, mais beaucoup de traces. Son passage, bref mais intense, rappelle que l’authenticité, le courage d’être soi, et la liberté de créer sans concession valent toutes les gloires.