La Kabylie compte parmi ses personnages historiques des figures féminines éminentes. Elles se sont distinguées par leur conviction obstinée et leur profond engagement pour les causes justes.
En guise d’hommage, nous présentons dans cet article un portrait de ces dames illustres avec un aperçu des actions qu’elles ont menées démontrant leur profonde détermination à guider leur nation vers la voie du progrès.
Chacune à sa manière, ces cinq femmes sont des emblèmes de la Kabylie, elles ont posé les jalons de valeurs inestimables et persistantes dans l’esprit collectif des Algériennes. Résistantes, artistes, femmes de lettres ou militantes politiques, leur personnalité interpelle les esprits au-delà des frontières du pays.
Lalla Fatma N’Soumer : guerrière et rebelle kabyle (1830-1863)
La résistante Fatma N’Soumer est née sous le nom Fatma Sid Ahmad Ou Méziane. Elle a vu le jour en 1830 à Ouerdja, un village des hauts massifs de Djurdjura situés dans le Nord-est algérien, fief de tribus guerrières téméraires. Elle est issue d’une lignée religieuse influente.
L’année de sa naissance marque la mémoire collective algérienne puisque c’est en 1830 que le roi de France Charles X ordonne l’invasion de l’Algérie dans le but de s’approprier son vaste territoire et ses richesses.
Tout commence en 1854, le sol algérien est occupé en partie par les troupes françaises et la Kabylie représente un territoire de résistance encore insoumis à l’invasion. Pour s’en emparer, l’armée occupante choisit la tactique de l’attaque.
Après une rude bataille ayant coûté la vie de plus de 8 000 soldats français, la vallée du Haut-Sebaou se distingue par sa résistance au siège de l’armée française qui décide de rappeler ses troupes après deux mois de combats meurtriers. La figure emblématique à la tête de cette résistance farouche de rebelles n’est autre que Lalla Fatma N’Soumer.
La guerrière émérite de Kabylie se dévoile alors au grand jour. Son histoire fait l’objet de récits édifiants dans lesquels une description de sa personne dépeint une femme guerrière dotée d’une force spirituelle puissante. Belle et féminine, Lalla Fatma N’Soumer est populaire et de nombreux chants et poésies berbères reprennent ses épopées à la grande joie de ses partisans dans tout le pays.
Son physique est typique des femmes berbères de son époque : une petite taille, une constitution robuste, des cheveux noirs longs et tressés, des yeux foncés pénétrants entourés de khôl.
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Le célèbre explorateur et homme politique français Émile Carrey (1820-1880) donne une image précise de Lalla Fatma N’Soumer dans ses Récits de Kabylie – Campagne de 1857 datant de 1858 : une femme déterminée et forte « drapée de foulards colorés, ornée de bijoux et couverte de henné alors qu’elle menait au combat les Imseblen, volontaires de la mort ».
Lalla Fatma N’Soumer est une figure historique illustre parce qu’elle s’est vigoureusement opposée à l’occupation française, bien que finalement capturée en 1857 sur un champ de bataille. Elle est restée captive dans la zaouïa d’el-Aissaouia à Tablat en Kabylie jusqu’en 1863, année de sa mort à l’âge de 33 ans. Elle n’a pas eu de descendance.
Son histoire de femme évoque également son personnage de guerrière obstinée dès l’âge de 20 ans : mariée contre son gré par son frère, elle a refusé de consommer le mariage et elle a provoqué ainsi une rupture sans condition avec les mœurs et traditions conservatrices du XIXe siècle.
Son tempérament de combattante hors pair s’est doublé d’une position exceptionnelle de stratège dans le milieu masculin où elle était écoutée et hautement respectée. Parfois surnommée la « Jeanne d’Arc du Djurdjura » ou encore la rebelle kabyle sous le titre de « Fatma N’Ouerdja » qui veut dire : celle qui refuse de se plier aux coutumes.
Fadhma Aït Mansour : une poétesse courageuse (1882-1967)
La femme de Lettres Fadhma Aït Mansour Amrouche est née en 1882 à Tizi Hibel en Kabylie. Elle est une poétesse d’expression française. Ses enfants Jean et Taos sont des écrivains algériens célèbres.
Fadhma Aït Mansour se singularise dès sa naissance puisqu’elle est née hors mariage dans une société traditionnelle, ayant dès l’enfance un lourd fardeau à porter. Très jeune, sa mère la place dans un couvent de sœurs religieuses pour la protéger de l’hostilité de son village, elle y restera dix années. Au sein de cet établissement, la jeune Fadhma devient chrétienne et révèle un goût prononcé pour la littérature.
Dès 16 ans, en 1899, elle se marie avec un chrétien Belkacem Amrouche, originaire d’Ighil Ali, Béjaïa. Le jeune couple chrétien vit un quotidien difficile au sein d’un environnement familial musulman méprisant. Ils décident d’aller vivre en Tunisie où ils résident pendant 40 ans.
Puis, le couple s’exile en France à Baillé (Ille-et-Vilaine) en Bretagne. La poétesse est aujourd’hui enterrée à Saint-Brice-en-Coglès dans ce même département.
La figure féministe de Fadhma Aït Mansour Amrouche se distingue par son affirmation religieuse chrétienne à laquelle elle a toujours été fidèle malgré la désapprobation de ses concitoyens. Elle a vécu selon ses choix qu’elle a assumés jusqu’à sa mort sans renier sa foi et sa condition d’enfant illégitime. Elle laisse derrière elle une profusion de productions poétiques et une autobiographie éditée en livre de poche « L’histoire de ma vie ».
Taos Amrouche : écrivaine, chanteuse et féministe avant l’heure (1913-1976)
Marguerite Taos Amrouche est née le 4 mars 1913 à Tunis et elle s’est éteinte le 2 avril 1976 à Saint-Michel-l’Observatoire (Alpes-de-Haute-Provence). Elle est la fille de Fadhma Aït Mansour et Belkacem Amrouche et la sœur de Jean Amrouche.
C’est une artiste accomplie possédant un talent d’écrivain d’expression française remarquable et cantatrice de chants traditionnels kabyles renommée.
Taos Amrouche a connu l’exil comme ses parents et elle a baigné dans une culture à la fois Amazigh et française, doublée d’une pratique religieuse chrétienne. Elle est une figure féministe notoire pour sa force à accepter un destin de femme incroyable forgé par sa mère Fadhma Aït Mansour et sa grand-mère Aïni Ath Larbi ou Saïd en dehors des règles sociales établies dans un pays musulman conservateur doublé d’un lourd statut de colonie française du XIXe siècle.
L’anthropologue et spécialiste du monde berbère, Tassadit Yacine écrit sur la cantatrice Taos Amrouche qu’elle « appartient à une minorité chrétienne convertie sous la colonisation, situation qui participe de son malaise et de sa mise à l’écart par la communauté musulmane (…) Ce que l’auteur va mettre en avant, surtout, sa volonté d’avoir une existence sociale et sexuelle en tant que femme, au moment où cette question continue à être tabou ».
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Grande passionnée avant tout, Taos Amrouche a entretenu une liaison cachée avec Jean Giono et elle a dédié sa vie aux chants berbères et à l’écriture d’expression française.
D’une grande sensibilité, ses œuvres témoignent de son amour inconditionnel pour la culture berbère. En effet, Taos Amrouche est la première romancière algérienne francophone à voir publier son roman intitulé Jacinthe noire en 1947 dans lequel prédomine son expérience de l’exil. Plusieurs de ses productions écrites reprennent ce thème récurrent lié à son histoire familiale.
Malgré son rapprochement avec le milieu littéraire français, l’auteure a mené de multiples batailles pour être publiée et reconnue en tant qu’écrivaine dans un contexte historique hostile en pleine guerre d’indépendance de l’Algérie. Sa double culture représentait un frein de plus pour sa notoriété littéraire.
Ses dons de cantatrice de langue berbère transmis par sa mère Fadhma Aït Mansour lui ont apporté le succès. Taos Amrouche était la première diva de tradition orale kabyle à se produire sur une scène française, elle s’est également produite dans d’autres pays tels que le Maroc, l’Italie, le Sénégal sans se produire officiellement en Algérie.
Taos Amrouche est une femme engagée pour la défense du patrimoine de tradition orale des chants berbères d’Algérie. Grâce à une initiative personnelle, son long travail de transcription de chants et contes kabyles a permis à ce beau patrimoine oral de subsister et il constitue désormais un héritage important de l’histoire algérienne.
Wassyla Tamzali : une femme de convictions et de combats (1941-..)
Née le 10 juillet 1941 à Béjaïa, la féministe Wassyla Tamzali est une auteure et militante influente de la cause du genre féminin du Maghreb.
Son père est un Algérien d’origine turque, il est né dans une famille commerçante et industrielle. Sa mère est espagnole. Wassyla Tamzali a débuté sa carrière en tant qu’avocate à la Cour d’Alger de 1966 à 1977, tout en menant des activités journalistiques. Puis, elle occupe successivement des postes à haute responsabilité dans la fonction publique internationale.
En 1992, l’avocate devient membre fondatrice du Collectif Maghreb Égalité et, en 1996, elle est appelée à occuper la fonction de directrice du Programme de l’UNESCO pour la promotion de la condition féminine en Méditerranée.
Entre 1996 et 2003, Wassyla Tamzali diversifie ses fonctions en faveur de la promotion de la femme. Tour à tour, elle devient chargée des rencontres de femmes et du dialogue des cultures des forums civiques Euromed, elle devient membre du Réseau euro-méditerranéen des Droits de l’Homme. En 2001, elle est élue vice-présidente du Forum international des femmes de la Méditerranée.
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En 2005, elle poursuit son ascension et devient membre du comité du 10e Congrès mondial des études féministes sur les migrations et, en 2006, elle est nommée directrice exécutive du Collectif Maghreb Égalité.
D’une simple avocate doublée d’un engagement continu pour la cause féminine, à qui elle souhaite offrir une parole libre et créative, la haute fonctionnaire kabyle n’a cessé de prôner l’égalité des sexes et elle a dénoncé des phénomènes sociaux reprenant la difficulté d’être une femme libre dans des sociétés à forte connotation patriarcale. Ses ouvrages en tant qu’auteure révèlent une personnalité féministe volontaire et elle affiche sans tabou les difficultés quotidiennes des musulmanes des pays sous le joug de l’islamisme.
Le 8 mars 2012, accompagnée de 7 féministes arabes, elle lance une pétition L’appel des femmes arabes pourla dignité et l’égalité dans le journal Le Monde et sur France Inter. La pétition soutient les citoyennes des pays du printemps arabe en faveur de la liberté féminine dans le Maghreb.
Grâce à sa ténacité et à sa parole sans détour, Wassyla Tamzali est récompensée de diverses manières. À noter qu’en 1999, elle est citée au grade de Chevalier de l’Ordre national du Mérite par le Premier ministre de la République française, Lionel Jospin.
En février 2000, au cours de la séance académique de l’Université Libre de Bruxelles, elle se voit honorée par le titre et les insignes de Docteur honoris causa.
Parmi ses ouvrages notoires, Une Éducation algérienne (2007) et Une femme en colère(2009) lui valent une renommée sans égale pour la liberté féminine.
Djouhra Abouda-Lacroix : une chanteuse engagée (1949-..)
L’artiste kabyle Djouhra Abouda-Lacroix est plus célèbre sous son nom de scène Djura. Elle a vu le jour le 3 avril 1949 à Ifigha, un petit village des montagnes Djurdjura de Kabylie. C’est à l’âge de cinq ans qu’elle rejoint son père installé en France avec sa mère et son frère.
Après un baccalauréat en philosophie, elle décide d’entamer des études de théâtre et se projette sur une carrière artistique. Son père désapprouve son choix et lui recommande une vie de mère au foyer. Elle quitte alors la métropole en recherche de ses origines et part en Algérie. Puis, elle revient en France où elle rompt les liens familiaux et s’inscrit à l’université pour poursuivre des études d’arts plastiques. Elle réalise deux courts métrages cinématographiques et se tourne ensuite dans la chanson.
Artiste engagée avant tout, Djouhra Abouda-Lacroix a plusieurs cordes à son arc, elle est réalisatrice, écrivaine, auteure, compositrice et interprète toujours avec un message récurrent, celui de la liberté d’expression des femmes et des opprimés. Elle ne cesse de dénoncer les conditions de vie archaïques des femmes dans les pays majoritairement musulmans et se montre en faveur de l’émancipation féminine.
Au cours de l’année 1979, Djouhra Abouda-Lacroix fonde avec ses sœurs Malha et Fatima le premier groupe de musique féministe appelé DjurDjura s’inspirant des montagnes de Kabylie du même nom. Elles réalisent un premier disque de chants patriotiques kabyles peu populaires en Algérie. Le groupe se dissout et se reconstitue en 2015, connaissant une notoriété plus remarquée.
C’est une auteure accomplie avec deux romans au succès international : Le voile du silence (1987) et La saison des narcisses (1993).
Djouhra Abouda-Lacroix est une femme Kabyle éminente à l’influence reconnue et elle se voit gratifiée par plusieurs titres honorifiques.
En mars 2017, le président François Hollande nomme Djouhra Abouda-Lacroix en tant que membre du Conseil Économique Social et Environnemental. En 2005, elle est nommée au grade de chevalier de la Légion d’honneur dans le cadre de la promotion de l’égalité des chances. De 2015 à 2021, elle occupe la haute fonction de directrice artistique du comité d’organisation de la Francophonie.
Un peut tard mais je me permet de rectifier votre récit sur lala fatma N’Soumer.
Lui attribuer un nom patronymique c’est une erreur historique
elle décédé en 1863
L’application des noms patronymique dans sa contrée c’est en 1892 donc elle a conservée son ancien nom
un descendant avertie cordialement