Takfarinas. Un nom qui résonne fort dans le cœur de nombreux Algériens, Kabyles et amateurs de musiques du monde. Derrière ce pseudonyme devenu légendaire se cache Hacène Zermani, artiste aux mille visages, musicien virtuose, voix engagée et infatigable créateur. Plus de quarante ans de carrière, des dizaines de chansons cultes, une signature sonore unique. Retour sur le parcours de ce pionnier de la pop kabyle.
Des racines profondes
Né le 25 février 1958 à Tixeraine, une commune de la banlieue d’Alger, Takfarinas est issu d’une lignée d’artistes. Son grand-père, son père, puis son frère aîné ont tous baigné dans la musique. Très jeune, il fabrique une guitare artisanale à partir d’un bidon d’huile et de câbles de frein de vélo. Une image forte, symbole d’une passion viscérale. Dès l’âge de six ans, l’oreille collée à la radio, il écoute les grands noms du chaâbi : El Hadj M’Hamed El Anka, Cheikh El Hasnaoui, Slimane Azem. C’est là que tout commence.
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Un début marqué par la scène et la volonté
En 1976, il enregistre sa première cassette à Alger. Trois ans plus tard, il s’installe en France et adopte le nom de Takfarinas, inspiré d’un ancien chef de guerre berbère. Une manière d’affirmer ses racines amazighes. Cette même année, il monte sur la scène de l’Olympia en première partie d’Idir. Il a à peine 21 ans. L’histoire est en marche.
En 1981, il fonde le groupe Agraw avec Boudjemaa Semaouni. Ensemble, ils enregistrent deux albums, avant que Takfarinas ne poursuive en solo. En 1986, deux albums marquent un tournant : Way Telha et Arrach se vendent à un million d’exemplaires. Les stades se remplissent. La scène nord-africaine découvre un showman d’un nouveau genre.
Le “Yal”, un style à part entière
Takfarinas ne fait pas que chanter. Il invente. Il expérimente. Il nomme sa musique le Yal, un mot à la fois rythmique, identitaire et symbolique. Ce style, à mi-chemin entre tradition kabyle, chaâbi, pop, raï, reggae et sonorités internationales, devient sa marque de fabrique. Il s’appuie sur un instrument unique : un mandole électroacoustique à double manche, qu’il développe avec l’aide de luthiers comme Rachid Chaffaa et Madjid Lah’lou. Grave et aigu cohabitent sur le même instrument, pour accompagner une voix au registre large, intense, souvent envoûtante.
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Une discographie riche et engagée
Takfarinas a enregistré 18 albums, dont plusieurs en double version. Chaque sortie est un mélange de sons et de messages. Car il ne chante pas seulement l’amour. Il chante aussi l’exil, la douleur, l’injustice, l’identité amazighe, l’espoir. Parmi ses œuvres marquantes :
- Yebba rreman (1979) : son premier disque, fruit de sa collaboration avec Arezki Baroudi.
- Aadmen-ten (1981) et Ay Aassas n Zher-iw (1983), aux textes poignants.
- Irgazen et Innid ih (1989) : des albums qui assoient son succès international.
- Romane (1993), enregistré avec Hamid Belhocine du groupe Kassav’.
- Yal (1999), avec le célèbre single Zaâma Zaâma, qui conquiert les charts internationaux.
- Thajmilth i thlawine (2005), un hommage vibrant aux femmes, où il collabore avec Sly Dunbar et Norbert “Nono” Krief.
- Lwaldine-Imawlane (2011), un album double en hommage aux parents, à la tradition et au chaâbi.
- Ul-iw Tsayri & Yemma Lezzayer-iw (2021), son dernier projet en date, toujours sous le label Futuryal, où il chante l’amour, la mère patrie et l’Afrique du Nord.
Une voix pour les siens
Takfarinas n’a jamais cessé de défendre la culture kabyle. Pour lui, le kabyle n’est pas seulement une langue. C’est une musique, une identité, une cause. Il parle d’exil, de transmission, de mémoire. Dans la chanson Imazighen (« Les hommes libres »), il pose une question simple : « Qui renierait ses origines ? » Son œuvre est un cri de dignité, un appel à la reconnaissance de l’héritage amazigh, de sa richesse, de sa beauté.
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Une présence internationale
Installé en France depuis 1979, Takfarinas est aujourd’hui l’un des artistes kabyles les plus connus à l’étranger. Il a chanté sur les plus grandes scènes : Olympia, Zénith, Afrique du Sud pour les Kora Awards, où il a reçu un prix des mains de Nelson Mandela et Michael Jackson. Ses chansons ont touché un public bien au-delà de l’Algérie. Il a su créer des ponts entre les générations, les cultures et les continents.
L’artiste libre
Dans un monde musical en perpétuelle mutation, Takfarinas a su rester indépendant. L’évolution technologique, la chute du disque, la pandémie… rien ne l’a arrêté. Chez lui, il compose, arrange, expérimente. Il n’obéit qu’à une seule règle : l’amour de l’art. Chaque chanson est travaillée, peaufinée, pensée. Le mandole devient une voix. La musique devient parole. Le Yal devient une identité.
Takfarinas n’est pas simplement un chanteur kabyle. Il est l’architecte d’un son, un pionnier, un artisan du métissage musical. Sa voix, son énergie, son engagement, son amour de la culture amazighe, font de lui une figure majeure de la scène musicale algérienne et internationale.