Idir, géant de la musique kabyle, nous a quittés en 2020. Mais sa première chanson, « A Vava Inouva », écrite en 1973, continue de vivre. Ce titre, devenu un tube planétaire, a été repris dans de nombreuses langues. Mais que raconte réellement cette chanson ?
« A Vava Inouva », une chanson tirée d’un conte Kabyle
La chanson « A Vava Inouva » s’inspire d’un conte kabyle, « Le Chêne et l’Ogre », que l’on retrouve dans les écrits de Taos Amrouche. Le thème de la chanson se rapproche des contes traditionnels de Charles Perrault et des frères Grimm. Elle évoque les veillées dans les villages kabyles, où les gens se rassemblent autour du feu pour raconter des histoires.
Les paroles, à la fois poétiques et simples, décrivent une scène où une jeune femme demande la protection de son père contre un ogre qui rôde dans la forêt. Le père, inquiet, répond à la jeune fille en lui exprimant son propre anxiété face à la menace.
Traduction en français des paroles de la chanson «A Vava Inouva»
Txilek elli yi n taburt a Vava Inouva
Je t’en prie père Inouba ouvre-moi la porte
Ccencen tizebgatin-im a yelli Ghriba
O fille Ghriba fais tinter tes bracelets
Ugadegh lwahc elghaba a Vava Inouva
Je crains l’ogre de la forêt père Inouba
Ugadegh ula d nekkini a yelli Ghriba
O fille Ghriba je le crains aussi.
Amghar yedel deg wbernus
Le vieux enroulé dans son burnous
Di tesga la yezzizin
A l’écart se chauffe
Mmis yethebbir i lqut
Son fils soucieux de gagne pain
Ussan deg wqarru-s tezzin
Passe en revue les jours du lendemain
Tislit zdeffir uzetta
La bru derrière le métier à tisser
Tessallay tijebbadin
Sans cesse remonte les tendeurs
Arrac ezzin d i tamghart
Les enfants autour de la vieille
A sen teghar tiqdimin
S’instruisent des choses d’antan
Txilek elli yi n taburt a Vava Inouva
Je t’en prie père Inouba ouvre-moi la porte
Ccencen tizebgatin-im a yelli Ghriba
O fille Ghriba fais tinter tes bracelets
Ugadegh lwahc elghaba a Vava Inouva
Je crains l’ogre de la forêt père Inouba
Ugadegh ula d nekkini a yelli Ghriba
O fille Ghriba je le crains aussi
Tuggi kecment yehlulen
La neige s’est entassée contre la porte
Tajmaât tettsargu tafsut
L’ »ihlulen » bout dans la marmite
Aggur d yetran hejben
La tajmaât rêve déjà au printemps
Ma d aqejmur n tassaft
La lune et les étoiles demeurent claustrées
Idegger akken idenyen
La bûche de chêne remplace les claies
Mlalen d aït waxxam
La famille rassemblée
I tmacahut ad slen
Prête l’oreille au conte
Txilek elli yi n taburt a Vava Inouva
Je t’en prie père Inouba ouvre-moi la porte
Ccencen tizebgatin-im a yelli Ghriba
O fille Ghriba fais tinter tes bracelets
Ugadegh lwahc elghaba a Vava Inouva
Je crains l’ogre de la forêt père Inouba
Ugadegh ula d nekkini a yelli Ghriba
O fille Ghriba je le crains aussi
Idir : Un monument Kabyle qui a rayonné à l’international
Originaire d’un petit village de Kabylie, il s’apprêtait à devenir géologue, mais la musique en a décidé autrement. C’est par un heureux hasard qu’il enregistre « A Vava Inouva », une chanson qui va faire sa renommée dans le monde entier.
Né Hamid Cheriet en 1949, Idir se retrouve à chanter un jour de 1973, dans un studio de Radio Alger, sans vraiment savoir ce qui l’attendait. Accompagné de sa guitare, il interprète « A Vava Inouva », une berceuse berbère racontant les veillées des villages kabyles. Après l’émission, il retourne tranquillement chez lui, sans imaginer que sa chanson allait marquer l’histoire.
« Je suis arrivé au moment où il fallait, avec les chansons qu’il fallait », disait-il pour résumer ses débuts. « A Vava Inouva » devient un tube monumental, diffusé dans 77 pays, traduit en 15 langues. Une première en Algérie, où une chanson en kabyle atteint une telle popularité. Ce succès soudain bouleverse sa vie et sa carrière.
Une carrière marquée par le succès et le retrait
Malgré la sortie d’un album qui reprend le titre et d’autres morceaux tout aussi réussis, Idir peine à renouveler cet exploit. Le sociologue Pierre Bourdieu disait de lui : « C’est un membre de chaque famille. » Mais « A Vava Inouva » est devenu tellement emblématique qu’il a parfois été difficile pour Idir de se libérer de cette image.
Pour éviter de devenir un « one hit wonder », Idir prend une pause de dix ans, de 1981 à 1991, et laisse d’autres artistes kabyles occuper le devant de la scène. Ce n’est qu’à la fin des années 90 que sa carrière redémarre, avec l’aide de Sony, et la sortie de nouveaux albums.
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Un homme engagé Idir ne se contentait pas de sa carrière musicale
Idir était aussi un homme engagé. Tout au long de sa vie, il a soutenu de nombreuses causes, notamment les droits des prisonniers politiques et les mouvements de contestation qui secouait l’Algérie. À ses derniers instants, il participait activement aux manifestations à Paris, en soutien aux jeunes protestataires.
Ghania Mouffok, journaliste, résume parfaitement l’héritage d’Idir : « Il a chanté pour la liberté, pour la langue kabyle, pour son peuple. »
Idir, avec « A Vava Inouva », a su offrir au monde une chanson pleine de douceur et de mélancolie, un hymne à la culture kabyle qui ne s’éteindra jamais.
« A Vava Inouva », la berceuse kabyle qui a touché le monde
Le père, enroulé dans son burnous, symbolise la sagesse et la protection traditionnelle. Pendant ce temps, la jeune femme, qui remonte sans cesse les tendeurs de son métier à tisser, incarne la force tranquille de la famille kabyle, où chaque membre joue un rôle important dans la survie quotidienne. La chanson évoque aussi les enfants autour de la vieille, qui écoutent les histoires et apprennent les valeurs ancestrales.
Le décor de la chanson :
Au-delà de la scène de dialogue, les paroles décrivent aussi l’environnement naturel et familial, avec des images fortes comme la neige s’entassant contre la porte, ou encore la bûche de chêne remplaçant les claies dans la cheminée. La chanson transporte l’auditeur dans un univers clos mais chaleureux, où les rituels de la vie quotidienne se mêlent à la poésie des contes. La famille est réunie, prête à écouter le récit qui va se dérouler.
Refrain :
Txilek elli yi n taburt a Vava Inouva
Je t’en prie, père Inouba, ouvre-moi la porte.
Ccencen tizebgatin-im a yelli Ghriba
O fille Ghriba, fais tinter tes bracelets.
Ugadegh lwahc elghaba a Vava Inouva
Je crains l’ogre de la forêt, père Inouba.
Ugadegh ula d nekkini a yelli Ghriba
O fille Ghriba, je le crains aussi.
« A Vava Inouva » nous plonge dans l’atmosphère chaleureuse des veillées kabyles, où chaque membre de la famille trouve sa place autour du feu, dans une tradition de partage et d’éducation. La chanson, tout en étant simple et accessible, touche à des thèmes universels comme la protection, la peur de l’inconnu et l’importance des liens familiaux. Elle reste un symbole de la culture kabyle, transmis de génération en génération, en racontant une histoire à la fois intime et universelle.