Les tissus africains sont une multitude : une multitude de couleurs et de motifs. Les techniques utilisées sont ancestrales et naturelles. Les stylistes occidentaux les ont découverts, ils font un malheur en déco de la maison.
Nous vous proposons de faire avec nous un rapide – et probablement très incomplet – tour d’horizon de ce que l’Afrique de l’ouest compte de merveilles en matière de tissus ethniques : des plus connus aux plus confidentiels. De découvrir les techniques et les matières utilisées par des artisans locaux qui respectent scrupuleusement les traditions héritées de leurs ancêtres ; des artisans – souvent des femmes réunies en coopératives – qui se battent, sans moyens contre l’envahisseur asiatique ; des artisans qui souffrent cruellement de la fuite des touristes et des voyageurs.
Les tissus africains du Mali
Dans la langue Dogon, le mot tissu veut dire « la parole ». Porter un vêtement tissé en bandes de coton, c’est se couvrir de la parole du 7e ancêtre, celui qui s’est transformé en métier à tisser pour transmettre la parole aux hommes tout en tissant.
Le wax, grand voyageur, cousin du batik
A tout seigneur tout honneur : le wax ! Pièce de coton imprimée des deux côtés grâce à une technique à la cire. C’est le plus connu. Il habille l’Afrique depuis plus d’un siècle.
Ses couleurs vives et une infinité de motifs lui assurent un avenir prospère, d’autant qu’il est en train de conquérir l’Europe et les Etats-Unis, comme beaucoup de produits africains (voir sur le site de safinel). Le wax arrive non seulement en coupons mais aussi sous la forme d’objets fashion les plus divers tels que tabliers de cuisine, robes, trousses et sacs.
Les motifs qui ornent les wax sont tantôt réalistes, tantôt symboliques et difficiles à identifier. Ils révèlent une grande diversité de perceptions et d’usages. Ils sont en premier lieu l’expression d’une identité.
Les vêtements en wax peuvent contenir des messages explicites en toutes lettres imprimés pour une occasion particulière ; Ils peuvent délivrer un message via un motif géométrique, des animaux ou des fleurs ; par exemple : le poisson pourra signifier l’abondance alors qu’un oiseau voudra plutôt dire voyage ou départ. La tradition africaine sera représentée par des attributs royaux comme le chasse mouche ou le tabouret des rois. L’influence européenne se fait aussi sentir via des motifs représentant des objets de consommation. Reste une symbolique très féminine généralement non identifiable mais contenant leurs interprétations propres.
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Les origine du wax, il faut les chercher en un lieu des plus inattendus !.. L’Indonésie où, à la fin du XIXe siècle, les Hollandais ont envoyé des mercenaires ghanéens combattre les nombreuses révoltes qui s’y produisaient alors. Leur mission achevée, les Ghanéens sont rentrés chez eux emportant quantités de tissus très colorés et teints à la cire (cire se dit wax en anglais), pensant qu’ils plairaient à leurs compatriotes. Et ce fut un succès. Un succès qui, bien sûr, n’échappa pas aux Hollandais qui ont repris l’idée… jusqu’à exporter vers l’Afrique et le Ghana en particulier.
Le wax est l’équivalent industriel de la technique du batik indonésien. Il s’agit d’un procédé de réserve à la cire qui est appliquée au moyen de deux rouleaux de cuivre gravés en creux, les creux étant emplis de cire liquide, la cire marquant les réserves pour les motifs.
Une fois séché, le coton basin est plongé dans un bain de teinture indigo. La cire est ensuite lavée et les motifs sont appliqués à la main à l’aide de planches gravées. Les pièces de tissu ainsi traitées peuvent atteindre plusieurs kilomètres der longueur.
Aujourd’hui, la Hollande produit toujours des wax et leur qualité est excellente. L’Afrique possède des usines au Ghana, en Côte d’Ivoire et au Nigéria. Mais, la production africaine est aujourd’hui menacée par la concurrence chinoise, indienne et pakistanaise, des pays qui pratiquent des prix très bas pour une qualité généralement inférieure.
L’indigo qui fait les doigts bleus depuis des siècles
On trouve bien sûr de l’indigo hors des frontières du Mali, en Asie même ; on en retrouve aussi la trace dans l’Egypte antique. Mais il semble peu contestable, que le creuset de la teinture indigo en Afrique reste le Mali, on a retrouvé sa présence sur des pagnes datant du XIe siècle dans des grottes funéraires de la falaise de Bandiagara au pays Dogon.
Le Mali produit aujourd’hui des pagnes indigo traditionnels faits de bandes de coton lourd qui sont tissées en pays Dogon, puis cousues ensembles ; il en existe d’autres, réalisés dans un coton léger provenant d’une matière première malienne, exporté en Europe par la compagnie malienne des textiles ; le tissage est réalisé en Europe sous la forme d’un basin blanc incrusté de motifs géométriques. Le tissu est ensuite expédié au Mali.
La teinture traditionnelle, qui fait toujours les doigts bleus parce qu’elle n’a pas encore été remplacée par des poudres synthétiques – pour ce qui est du pays Dogon en tout cas – est obtenue à partir des feuilles de l’indigotier. Elles sont récoltées en septembre à la fin de la saison des pluies (l’hivernage) ; puis pilées, séchées et stockées, sous la forme de petites boules, à l’abri de l’humidité.
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Pour obtenir de la teinture, les boulettes de feuilles séchées sont bouillies avec de la potasse. La décoction devra fermenter quelques jours encore avant de pouvoir être utilisée. Le tissu y sera ensuite plongé une ou plusieurs fois, selon l’intensité de bleu désirée. Mais, à la sortie des bains de teinture le tissu n’est pas encore bleu, il est jaune ! C’est seulement après une exposition à l’air, donc après oxydation, que le jaune se changera en bleu.
Quant aux motifs qui ornent les pagnes, ils sont obtenus en effectuant des coutures très serrées représentant les motifs et dans lesquelles la teinture ne pourra pas pénétrer. Après le séchage de la teinture, les « nœuds » sont décousus et les pagnes sont repassés. Jadis le repassage s’effectuait par battage et les pagnes étaient conservés à l’abri des regards, et régulièrement parfumés, en attendant une grande occasion…
Un pagne indigo est le fruit du travail de plusieurs artisans qui conjuguent leurs savoir-faire : les tisserands qui préparent les bandes de coton, les couturières qui cousent les motifs et assemblent les bandes, les teinturiers et les repasseuses.
Le Bogolan… dans la nuit des temps
Compte tenu de la fragilité du coton dont il est fait et de la difficulté qu’il y a à le conserver, on peut malheureusement affirmer que l’origine du bogolan est inconnue. Les traces les plus anciennes, on les trouve au musée national du Mali qui possède des exemplaires remontant au XIe siècle, voilà pour le concret ! Quant aux autres explications, elles relèvent plutôt de la légende. L’une d’entre elles lui attribue une origine fortuite : une femme vêtue d’un pagne teint au basilan (décoction de feuilles d’un arbuste local) l’aurait tâché avec la boue du fleuve, une boue laissa sur son pagne une coloration noire indélébile … Le « bogolan » était né, son nom signifie : « le résultat que donne la boue ».
Le bogolan a toujours été profondément ancré au Mali. Les artisans, généralement des femmes, réalisaient des vêtements pour la communauté. Les motifs et les coloris vouant le vêtement à un usage particulier, par exemple : le jaune ou l’ocre jaune étaient plutôt réservés aux garçons aprés la circoncision ; l’ocre rouge sur fond jaune revenait aux chasseurs, voyants et maîtres des masques, etc.
Le coton utilisé pour confectionner ces pagnes est récolté localement. Il est filé à la main par les femmes qui utilisent un fuseau traditionnel. Ce sont ensuite exclusivement les hommes qui tisseront d’étroites bandes blanches d’une quinzaine de centimètres de large et 25 mètres de long sur un métier traditionnel et spécifique à l’Afrique de l’ouest. Les bandes sont ensuite cousues entre elles pour confectionner des pagnes. Il faut noter que le Mali est probablement l’une des régions où fut inventé le métier à tisser, qui semble être apparu simultanément en plusieurs endroits de la planète.
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La cotonade, blanche est alors plongée dans un bain de basilan (décoction de feuilles d’arbuste) qui donnera la coloration de base à dominante jaune ; et surtout autorisera la réaction chimique qui noircira et fixera les motifs. Après séchage au soleil, le bogolan est lavé jusqu’à disparition de la boue.
De nos jours, hélas, le dessin à la main est parfois remplacé par des pochoirs, les motifs ont perdu de leur symbolique et plus grave la cotonade traditionnelle cède la place à d’autres supports comme le basin, le lin ou la cretonne, une production facilement reconnaissable, généralement destinée aux touristes.
Les bogolans, restés confidentiels jusqu’aux années 70, sont maintenant connus dans le monde entier où ils sont principalement utilisés en décoration.
Les couvertures Peul, un travail de sédentaires
Les Maboulé Peuls sont une caste sédentaire. Ils sont spécialisés notamment dans le tissage de splendides couvertures aux motifs très colorés. Comme c’est toujours le cas en Afrique, ces motifs ont une signification plus ou moins cachée ; et une connaissance approfondie de la cosmogonie et des mythes Peuls est nécessaire pour les comprendre. Les couleurs elles aussi ont un sens, ainsi : le noir évoque la saison sèche, le jaune l’initiation, etc.
Les tisserands Peuls utilisent la laine et le coton. Leurs métiers à tisser, qui pourraient être d’origine asiatique, sont un peu différents de ceux utilisés par d’autres ethnies qui travaillent exclusivement le fil de coton. Selon une technique ancestrale commune à de nombreuses ethnies, ils confectionnent de longues et étroites bandes avec des fils de coton ou de laine préalablement colorés par les femmes. Ces bandes seront ensuite cousues entre elles pour donner des pagnes et des couvertures. Généralement une couverture est composée de six bandes de 24 cm environ.
Les Maboulé sont très superstitieux et quand vient l’heure pour un tisserand de transmettre son savoir faire à son fils, il cède à la fois le métier familial et quelque gri-gri censé éloigner les esprits malins qui prennent plaisir à emmêler les fils de chaîne.
Les tissus africains de Mauritanie
Les cotons basins teints de Kaédi, un éclat incomparable
Les teintures de Kaédi, une ville du sud de la Mauritanie, ont acquis une solide réputation dans pratiquement toute l’Afrique de l’ouest ! Parce que les boubous, coussins et autres nappes réalisés dans ces tissus de coton dégagent une « lumière » toute particulière, tant par les couleurs vives qu’ils affichent, que par une infinité de motifs et une brillance inégalable.
La méthode est ancestrale, même si les teintures utilisées ne sont plus toujours 100% naturelles. Les tissus sont des cotons de trois qualités différentes : basin, chinguitel, importés d’Europe ou d’Inde et incrustés de motifs en relief ; et chiga, une toile plus grossière produite localement. On ne retrouve pas la technique des bandes étroites cousues les unes aux autres, les teinturières utilisent directement des lés de 1,20 m de large de coton blanc.
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Quant à la méthode employée pour appliquer la teinture, on retrouve une technique déjà évoquée pour l’indigo : Les motifs sont cousus serrés et le tissu est plongé dans les bains de teinture, couleur par couleur de la plus claire vers la plus foncée.
Après plusieurs rinçages, les toiles sont plongées dans la gomme arabique, séchées, pliées et « repassées »… disons plutôt qu’elles sont battues avec une batte en bois, ce qui a également pour effet de faire pénétrer la gomme au cœur du tissu. La gomme arabique augmente la résistance et donne une brillance exceptionnelle aux boubous réalisés dans les cotons de Kaédi… qui ne sont portés que dans les grandes occasions.
Les tissus africains de Côte d’Ivoire
La toile de korhogo, victime de son succès
La technique utilisée pour produire les toiles de korhogo est tout à fait identique à celle utilisée au Mali pour les bogolans. Les artisans Sénoufo (nord de la Côte d’Ivoire) commencent par tisser des bandes étroites de coton local. Bandes qui sont ensuite cousues ensemble avant d’être ornées de motifs très différents de ceux que l’on trouve sur les bogolans.
Ces motifs d’une dizaine de centimètre sont peints avec des pigments naturels vert brun sur le coton blanc. Ils représentent des animaux mythologiques tels que la tortue, le crocodile, le serpent ; mais aussi des masques et des signes géométriques. Les dessins sont réalisés à main levée à l’aide de bâtonnets de bois de tailles différentes.
Aujourd’hui, ces toiles ont acquis un franc succès. Pour être exportés et être utilisées en décoration murale ; et aussi pour les fabriquer plus rapidement, elles sont souvent ornées de motifs plus grands dessinés à l’encre de Chine. Hélas, cela se fait au détriment de la production traditionnelle qui tend à se raréfier.
Le batik africain, un art de patience et de minutie
Batik est un mot d’origine malienne, il signifie « qui se dessine, qui s’écrit ». Il serait apparu il y a un millier d’années, lors d’une tentative de teinture d’un tissu tâché de gras.
On trouve des vestiges de la pratique du batik en Asie, au Moyen-Orient et en Afrique où il était à l’origine pratiqué par les Wolof (Sénégal), et les Yoruba (Nigéria), avant de se répandre dans tout l’ouest, et notamment la Côte d’Ivoire et la région de Korhogo. Les tissus ainsi décorés étaient portés comme pagne par les chasseurs.
La technique utilisée par les artistes est proche de celle des tissus de Kaédi : le motif final est d’abord dessiné sur la toile de coton. Les zones qui ne doivent pas être colorées sont protégées par une application de cire chaude. Les couleurs sont appliquées par trempage ou directement peintes les unes après les autres en des plus claires vers les plus foncées, en appliquant chaque fois de nouvelles réserves de cire. Pour finir, le tissu est débarrassé de sa cire par trempage à l’eau bouillante ou au fer à repasser.
Les tissus marocains
Les plaids marocains, une tradition depuis le XVIIe siècle
Il y a longtemps que la soie animale, trop chère, a été remplacée par le sabra (appelé aussi soie végétale) sur les métiers à tisser de Marrakech, Fès ou Tétouan. Quel que soit leur aspect : à rayures, ornés de sabra, de broderies de Fès, de passementeries ou de matières plus inattendues, les plaids marocains sont réputés apporter chaleur et raffinement à un intérieur.
Le sabra, beaucoup moins fragile que la soie, est obtenu à partir des feuilles de l’aloès dont on extrait les fibres par trempage ; après filage, elles seront teintes et tissées. La raison pour laquelle on compare le sabra à la soie réside dans son aspect brillant que l’on doit à la structure de ses fibres triangulaires qui réfléchissent la lumière. Il a encore pour avantages une grande flexibilité et un entretien facile
Les plaids marocains sont toujours réalisés sur des métiers à tisser traditionnels qui peuvent différer d’une région à l’autre et selon que le tisserand vit en ville ou à la campagne où l’outil est parfois encore très rudimentaires.
Les matériaux entrant dans la fabrication des plaids sont très variés. Certains tisserands font preuve d’une grande imagination et y incluent lin, coton, raphia, perles, fils de métal argenté, voire des plumes. Mais ce sont principalement le sabra et la laine qui sont traditionnellement utilisés. La laine est évidemment privilégiée à la campagne où on élève des moutons, dont les femmes filent toujours la laine au fuseau.