La poterie traditionnelle kabyle (Ideqqi, en kabyle) est un trésor artistique et culturel qui remonte à près de 1000 ans avant notre ère. Cette forme d’artisanat a été longtemps préservée par les femmes kabyles qui ont dédié leur talent et leur créativité à la fabrication de vases, récipients et objets utilitaires. Le processus de fabrication, les matériaux utilisés, les outils et les motifs décoratifs ont évolué au fil des générations, créant ainsi un héritage d’une grande richesse.
Les origines de la poterie traditionnelle kabyle
La poterie kabyle, remontant à près de 1000 ans avant notre ère, est un témoignage de la longue histoire de la civilisation berbère. Cependant, ce n’est que récemment qu’elle a été démocratisée, en grande partie grâce aux échanges culturels avec d’autres civilisations venant de l’Afrique du Nord. La Kabylie, cette région naturelle, culturelle et historique située au nord de l’Algérie, est le berceau de cette forme d’art fascinante.
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Les artisanes kabyles et leur dévouement
Au cœur de la production de la poterie kabyle, ce sont les femmes kabyles qui ont préservé et transmis ce savoir-faire de génération en génération. Leur dévouement à cette forme d’art est exemplaire, et elles continuent de créer des produits à la fois résistants, durables et esthétiquement exceptionnels. L’absence de moyens technologiques sophistiqués n’a pas entravé leur créativité, bien au contraire, elle a donné naissance à des œuvres authentiques.
Les matières premières et les couleurs
L’argile (talaxt, en kabyle) est l’élément fondamental du processus de fabrication de la poterie kabyle. Abondamment disponible dans les environs des villages kabyles, cette matière première est façonnée avec soin pour créer des objets destinés à un usage fréquent. De plus, l’argile à foulon (senṣal, en kabyle), également abondante, est utilisée pour la finition du produit, assurant sa résistance.
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Les outils traditionnels et l’évolution
À ses débuts, la poterie kabyle était façonnée à la main, sans l’utilisation de fours ou de tours de potier sophistiqués. Les femmes kabyles se servaient d’outils rudimentaires, tels que des bâtons en bois pour déplacer les objets pendant la cuisson, des chiffons en peau d’animal pour les finitions et la peinture, des pinceaux en soie de sanglier exclusivement réservés à la peinture, et des raclettes en bois ainsi que des cailloux roulés pour faciliter le modelage. L’introduction d’outils issus de la révolution industrielle n’a eu lieu qu’après l’occupation de l’Algérie par la France, et cette évolution a permis d’améliorer les techniques tout en préservant l’authenticité de l’artisanat.
Le processus de fabrication
Le printemps est la saison privilégiée pour la fabrication de la poterie kabyle, avec des températures suffisamment élevées pour permettre le séchage, mais assez basses pour éviter les craquelures.
1. Préparation de la terre et modelage
L’argile récoltée est séchée au soleil pendant trois jours, puis délayée dans de l’eau, lavée et débarrassée de ses impuretés, notamment le calcaire. Ensuite, elle est malaxée avec des débris pilés de poteries usagées pour lui donner une meilleure consistance, c’est la technique du chamottage. Enfin, l’argile est façonnée à la main en utilisant la technique du colombin, avec l’aide d’une raclette en bois. Les colombins sont assemblés pour former la structure de l’objet.
2. Polissage et préparation pour la cuisson
La pièce est polie à l’aide d’un galet pour éliminer tout défaut ou irrégularité. Ensuite, elle est recouverte d’argile à foulon, créant une surface lisse et facilitant la peinture. Avant de passer à l’étape suivante, la poterie est laissée au soleil pendant trois jours pour un séchage adéquat.
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3. Décoration créative
Les femmes kabyles appliquaient à l’origine de l’ocre rouge (muɣṛi, en kabyle) et du peroxyde de manganèse (busbu, en kabyle) à l’aide de pinceaux en soie de sanglier et de leurs doigts. Cette étape était l’occasion pour elles de déployer toute leur créativité. Malgré la limitation à deux couleurs à ses débuts, la poterie kabyle était ornée de symboles géométriques, zoomorphes et anthropomorphes, rappelant les tatouages et les bijoux des femmes kabyles. Depuis la fin du 19ème siècle, l’évolution des ressources a permis d’introduire une palette de couleurs beaucoup plus large.
4. La cuisson et son art
La cuisson de la poterie kabyle est une étape cruciale, et les femmes kabyles, grâce à leur expérience, jugent de la bonne température sans recourir à des moyens technologiques de mesure. La poterie est disposée en plein air, dans un feu de bois sec, au milieu duquel on empile les objets. Cette cuisson en plein air est une tradition distincte de certaines régions d’Afrique du Nord qui pratiquent la cuisson sous terre. La connaissance des femmes kabyles repose sur l’observation du temps de cuisson, l’odeur, la forme, le volume et le poids de la poterie. Ce savoir-faire se transmet de mère en fille depuis des générations, perpétuant ainsi une tradition authentique.
5. Le vernis pour la finition
La cuisson n’affecte pas la composition chimique de l’ocre rouge et du peroxyde de manganèse, préservant ainsi les couleurs naturelles de la poterie. Une fois la cuisson terminée, la poterie est enduite d’un vernis végétal. Pendant qu’elle est encore chaude, elle est frottée avec un morceau de résine de pin, ce qui lui confère une surface externe étanche. Cette étape est particulièrement importante pour les objets destinés à stocker ou à servir des produits liquides, garantissant leur étanchéité.
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Diversité des formes et des fonctions
Les poteries traditionnelles kabyles remplissent différentes fonctions, ce qui témoigne de leur utilité dans la vie quotidienne des habitants de la région. Elles se catégorisent généralement en quatre types principaux :
Poteries de transport et de conservation
Le peuple kabyle, confronté à des problèmes d’approvisionnement en eau, a utilisé la poterie pour le transport et le stockage. Ces poteries sont variées en termes de formes et de nombres, répondant aux besoins de conservation de l’huile d’olive (zzit n uzemmur, en kabyle) ou pour le transport, telles que les jarres (tacmuxt, en kabyle) et les pots à deux anses pour le stockage (taxabit, en kabyle).
Poteries de cuisson
Divers types de poteries kabyles sont destinés à la cuisine, que ce soit pour la grillade, le chauffage de l’eau, les soupes, ou la préparation du célèbre plat régional, le couscous (seksu, en kabyle).
Poteries de service de table
Certaines poteries sont spécifiquement conçues pour l’organisation des repas, avec une grande variété de formes adaptées à l’eau, au lait, à la soupe, ou même au couscous, qui est une composante essentielle de la culture kabyle.
Poteries à usages divers
En plus des fonctions alimentaires, certaines poteries kabyles ont des applications diverses. La lampe à huile (lmeṣbaḥ, en kabyle) est l’une des plus connues parmi celles qui ne sont pas directement liées à la nourriture. D’autres objets revêtent une importance particulière lors de cérémonies, comme la cérémonie du henné.
L’ampleur de leurs applications a considérablement amélioré le confort et la praticité dans la vie quotidienne du peuple kabyle, et leur beauté en a fait un objet prisé par les amateurs de style traditionnel à travers le monde.
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La poterie traditionnelle kabyle est une œuvre d’art qui incarne l’histoire, la créativité et le dévouement des femmes kabyles. Au fil des siècles, elles ont su préserver cet héritage culturel en utilisant des méthodes artisanales et des matériaux locaux. La diversité des formes, des motifs et des fonctions de ces poteries reflète la richesse de la culture kabyle. La poterie kabyle continue d’influencer les amateurs de poterie du monde entier et nous invite à apprécier la beauté intemporelle d’un art ancré dans l’histoire et la tradition.